lundi 27 juillet 2009

LES LIVRES DE CLAUDE PONTI AU MEXIQUE


CLAUDE PONTI au Mexique
par Lirio Garduño-Buono
Coordinatrice de la Salle de Lecture
“Chien Bleu”, San Isidro, Guanajuato,
Méxique.

1.- SOUVENIRS DE PARCI ET DE PARLÀ
La première fois que j’ai eu un livre de Claude Ponti entre mes mains, il m’a tout de suite conquise. C’est étrange, parce que ne me souviens pas exactement lequel c’était, peut être “Broutille”. Ma fille Nina était encore un bébé, et marchait avec moi les quelques mètres qui nous séparaient de la bibliothèque du quartier du Télégraphe, dans le vingtième arrondissement de Paris. Cette bibli n’est ni grande ni prestigieuse, mais elle possède une très bonne section jeunesse et enfance. On y allait plusieurs fois par semaine. Je me souviens d’un livre qui nous plaisait beaucoup, “Parci Parla”. J’étais aussi fascinée que mon bébé par les architectures végétales, par les aventures souterraines et célestes des personnages.
« Broutille » fut une autre expérience mémorable. Anissa, une amie de ma fille depuis ses trois ans le lui avait prêté, avec mille recommandations car elle ne voulait surtout pas que son livre s’abîme. Toute la famille a adoré et je me suis précipitée dans la grande librairie de la Place de Clichy pour l’acquérir. Il m’a coûté soixante francs.

Une fois au Mexique, je n’ai jamais retrouvé des livres de Ponti en librairie. Il faut dire que dans ma ville, Guanajuato il y a une seule librairie et qu’elle n’a pas beaucoup de choix de livres traduits pour les enfants. Néanmoins, on s’est arrangé pour se faire accompagner par Claude Ponti tout au long de l’enfance de Nina Olga: les aventures de Blaise, le poussin masqué, Broutille, la poupée magique, l’adorable maman Pétronille... ce dernier nous a été offert par Blandine Aurenche lors d’une visite au Mexique. Je lui avais parlé de la fascination de ma fille Nina pour Ponti, et de Pétronille, personnage si aimé quand elle était très petite. Blandine, qui avait le livre pour le montrer à son public dans le séminaire pour lequel je faisais la traduction, m’en a fait cadeau. Un autre ami français nous a rapporté « Ma Vallée ».
Quand en 2001 j’ai ouvert la Salle de Lecture dans le hameau où j’habite, San Isidro, j’ai traduit sommairement les livres de Ponti que l’on avait à la maison, parce qu’il m’a semblé intéressant de les faire connaître aux enfants d’ici. Très naturellement, ces enfants les ont accueillis et ces livres sont devenus de grands favoris. Les enfants me demandent très souvent de les leur lire.

2.- OBSERVATION D’UNE SÉANCE DE LA SALLE DE LECTURE « CHIEN BLEU », Jeudi 8 de février 2006
En arrivant à l’école où se tient la Salle de Lecture, je dis aux enfants que nous avons reçu un paquet en provenance d’Espagne. 3 beaux bouquins! Une fois à l’intérieur, ils montrent tous une énorme curiosité pour voir les nouveaux livres. On commence a disposer les livres sur une table, comme d’habitude, Les nouveaux sont encore dans le carton de la poste.
Rosalinda (10ans), une de nos plus ferventes lectrices commence à l’inspecter sous toutes les coutures: chaque détail lui paraît intéressant: le timbres représentant une voiture rose (peut être une Mercedes), l’adresse du destinataire et de l’expéditeur, la fiche des douanes…tout lui paraît digne d’attention, presque autant que les livres eux-mêmes. Beto (9) s’intéresse particulièrement au timbre avec la belle voiture. Nous avons reçu: “Le château de Annie Versaire”, “L’arbre sans fin” et “Robert Lebanc”, de Claude Ponti.

Quand je sors les livres de leur emballage, tous les enfants s’agglutinent comme des abeilles sur le miel. Ils aiment particulièrement «Le Château d’Annie Versaire » parce que la double page centrale est une véritable mine où l’on peut trouver plein de personnages de contes, bd et même de cinéma ! Nina (11), ma fille s’installe au milieu de la pièce et commence à le lire depuis le début. Quelques uns des enfants restent absorbés dans leurs propres lectures, où explorent le fonds à la recherche de livres à emporter. Néanmoins, Maricruz (5), Octavio (11) , Rosalinda et la petite Dulce (4) s’approchent pour écouter la lecture. Quand ils arrivent à la page centrale, le monde entier semble s’arrêter : On écoute seulement les noms des différents personnages et l’on voit des index qui pointent vers tel ou tel : Max, celui des Maximonstres, Pinocchio, Le chaperon rouge, Charlot, Mickey, Donald, Bety Boop... il y en a tellement ! Ils doivent se compter par centaines ; quelques uns identifiés, d’autres inconnus. Les enfants me demandent si je connais la fille habillée dans le style dix-neuf-cent-quinze. C’est l’Adèle Blanc Sec de Tardi !!!
On passe un bon moment dans cet exercice. Soudain, Nina dit qu’il faut continuer l’histoire pour en savoir la fin. Avant de tourner cette page magique, elle dit : « ...et voici la cumpleañera! » (tournure populaire pour parler de celle qui fête son anniversaire…) en effet, dans un coin de la page de droite, la petite Annie paraît totalement submergée par sa grandiose fête...

Le petit Cristian (5) me demande de lui lire « L’arbre sans fin ». Maricruz et Dulce s’approchent doucement. C’est un groupe de jeunes enfants et ils se collent à moi quand Hyppoline est perdue et loin de sa maison.

Lorsque l’héroïne affronte des dangers comme le monstre fait de feuilles, ou des miroirs qui font des misères, Dulce fait une drôle de tête et s’accroche à mon bras très fort. La mort de la grand-mère est un passage douloureux pour eux. Ce qui les console est que toute la famille emmène son corps dans un endroit très haut, d’ où elle pourra s’envoler vers l’infini...
Ils veulent tous emprunter les nouveaux livres. Je leur demande une petite semaine pour pouvoir les regarder moi-même de plus près et écrire quelque chose à leur sujet. Mais sur le cahier des prêts, les trois livres sont déjà réservés pour les trois ou quatre semaines suivantes.


3.- CLAUDE PONTI AU MEXIQUE
¿Pourquoi un livre nous touche-t-il? ¿Quel est le mécanisme de cette émotion? ¿Que se passe-t-il lors de la lecture? ¿quelles sont les histoires que l’on porte en nous, quel est notre bagage?
Parmi les lecteurs de la Salle de Lecture “Chien Bleu” de San Isidro Guanajuato (Mexique) circulent quelques livres de Claude Ponti. Une fois, mon amie Geneviève Patte m’a dit que les œuvres de Ponti peuvent être détestées où adorées, mais que rarement elles provoquent des réactions intermédiaires.
C’est en effet curieux, car les rares livres que l’on a eu de lui ont eu ici un accueil franchement positif. Peut être parce que les enfants viennent à la Salle presque toujours seuls et ils n’on pas le filtre ou la censure de leurs parents; peut être parce que la culture mexicaine permet et encourage même tout ce qui est baroque, excessif, étrange. L’exubérance des églises et couvents coloniaux avec leurs façades couvertes de diablotins et de monstres, de chérubins joufflus et d’animaux mythiques ; des éruptions végétales et volutes complexes nous donnent une idée de comment un enfant d’ici peut percevoir ces maisons labyrinthiques, ces arbres qui hébergent de multiples chambres et leurs façades tordues; une vision si personnelle de la nature, récréant des structures et des ornements comme quelque chose d’inhérent au paysage.

Une autre chose que Ponti crée et nous offre, ce sont les mondes parallèles et souterrains. Le mystère et même l’horreur des choses familières transformées en êtres monstrueux et menaçants. Dans la Culture du Bajío (région centrale) mexicain, les histoires datant de la colonie, qui mettent en scène des revenants et des êtres surnaturels sont très populaires. L’horrible et le surnaturel sont quelque chose de commun dans la vie du Mexique rural, côtoyant des éléments magiques fournis par le côté indien qui privilégie la flore et la faune dans ses histoires. San Isidro est un petit village qui possède encore des caractéristiques rurales, même si sa proximité de la ville de Guanajuato finira par effacer ceci dans quelques années. Pour l’instant, cette culture rurale encore présente explique peut être pourquoi ces enfants perçoivent les livres de Ponti, ses bestiaires, ses apparitions et ses êtres surgis du cœur de la terre, comme quelque chose de naturel.

La présence de la mort dans les livres de Ponti ne semble pas non plus effrayer nos lecteurs. Il est possible que les plus petits aient le cœur serré à l’idée de la mort imminente de la grand-mère d’ Hyppoline dans « L’arbre sans fin ». Néanmoins, dans “Ma Vallée” on parle du cimetière des Touim’s comme d’un endroit habité par une grande sérénité. Ou quand il raconte que le Mange-Poussin a dévoré tous les poussins et qu’ils sont libérés après par Blaise, car c’était un faux…tout le monde semble soulagé !

Il y existe aussi des moments de délire, que les enfants connaissent si bien dans leurs vies: les poussins déguisés qui luttent contre le monstre; les jeux des Touim’s en hiver ou en été, le Théâtre des colères ; les aventures de Pétronille lorsque certains messieurs la trempent dans l’huile et la trempent dans l’eau pour en faire un escargot… Tout nous transporte frénétiquement…quand, soudain, tout s’arrête et le silence s’impose, pour s’ouvrir au passage du poisson géant flottant dans le ciel et sur les toits de Paris, double page mémorable de « Broutille ». Où alors le Grand Minuit de “Robert Lebanc”, vision extraordinaire, propice au songe. Pour nos lecteurs, l’image de Ponti accroche bien plus que le texte, même si celui-ci sera toujours une source d’énigmes et le point de départ pour des voyages divers.

La qualité de l’image nous fait en effet rêver. Quelque chose qui complète bien cette image est la qualité de l’édition, car il y a toujours de l’espace, de la beauté et l’impression est toujours si parfaite ! Ceci contribue à nous fasciner.

Autre chose intéressante, brièvement mentionnée en haut est le goût de l’auteur pour l’architecture, ou plutôt pour les architectures. Tel le génial Gaudí, Ponti fond ses bâtiments dans la nature, s’approprie l’arbre, le fait devenir maison et y installe un mobilier style Art-Nouveau, étrange et exquis, digne du créateur catalan. Cet amour pour les cavités, pour ce qui est végétal, humide, sinueux, fait que l’arbre-maison de “Ma Vallée” o de “L’arbre sans fin” se constituent en territoires où chaque enfant voudrait habiter. Extérieur et intérieur se ressemblent, ont des liens secrets, comme le tissu externe et la doublure d’un manteau. L’autrichien Hundertwasser y serait heureux. Dans “Robert Lebanc” il y a des arbres qu’à un certain moment perdent leur écorce, deviennent quelque chose de fragile et mobile, habités par des escaliers et des pièces. Je crois que ces arbres habitables nous les avons tous dans un coin de notre inconscient, de nos rêves.

Autre chose curieuse est que l’œuvre de Ponti est profondément française, c'est-à-dire, qu’elle possède des caractéristiques et des références culturelles seulement perçues par quelqu’un qui a grandi ou vécu dans ce pays. Par exemple dans le chapitre « Le Roi des Arbres” de “Ma Vallée” il fait allusion au compositeur Olivier Messiaen, ou dans la page où Pétronille et sa famille rencontrent une poule sur un mur, il y a un rappel de la comptine bien connue en France. Néanmoins, tant l’image que le texte nous promènent dans un monde et dans un imaginaire que lui, est universel. On a donc plusieurs lectures possibles, et l’une d’entre elles est notre lecture mexicaine.
Je songe à tout ce qu’un auteur peut nous fournir comme évocations, tout ce que ses souvenirs et images signifient pour nous, le goût de ses mots qui nous paraît soudain familier comme le goût de la tortilla de maïs et du citron vert… Par la fenêtre de mon atelier je vois un arbre au bord du vallon voisin. C’est un paysage bien plus sec et moins grandiose que la vallée des Touim’s, mais, vous pouvez me croire, cet arbre me suggère un univers mouvant : un arbre bâti et aménagé pour être une maison ; et comme le géant triste, j’ai une envie folle de poser mon œil sur un trou de son écorce pour y voir la vie qui grouille à l’intérieur…

Avec l’envoi de ces livres, Rafael Ròs des Editions Corimbo, a permis aux enfants de la Salle Chien Bleu* de vivre directement dans leur langue, les mondes extraordinaires de cet auteur.
Mercès Senyor Ròs!
Merci, Monsieur Ponti!

Lirio Garduño-Buono
San Isidro, México,
marzo 2006.

+La Salle de Lecture “Chien Bleu” existe depuis novembre 2001. Elle se trouve dans le village de San Isidro, à 10 km de la ville de Guanajuato, au Mexique. Je dois ce nom à l’auteur français NADJA dont le livre “Chien Bleu” a été une source d’inspiration et d’action pour moi. Depuis 5 ans, je travaille à collecter des livres auprès des éditeurs et des institutions, pour que petits et grands puissent en profiter dans mon village. La Salle a été plus intéressante pour les enfants que pour les adultes, mais c’est un espace ouvert à tous, l’opportunité d’avoir un livre entre les mains et de l’emporter avec soi à la maison. CONACULTA nous a fourni un bon fonds, ainsi que des éditeurs mexicains et étrangers, tels que CIDCLI, CORIMBO. TASCHEN ou l’ECOLE DES LOISIRS.

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